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Défense des enfants international
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Rwanda : la tragique solitude des enfants « Craps 
  
[ Bulletin DEI, April 1995 Band 1 Nr 1 S. 7, 8 ]

Par Paulo David



Engoncé dans son uniforme d'adulte, la poitrine barrée par une Kalachnikov, Eustache, 14 ans, à ma grande surprise, m'autorise à le photographier devant l'aéroport de brousse de Cyangugu (Ouest du Rwanda). Flatté par mon intérêt et surtout manquant totalement de formation, le jeune militaire de l'Armée Patriotique Rwandaise (APR) se fait violemment remettre à l'ordre par un capitaine qui lui explique qu'il est interdit de se faire photographier dans une «zone stratégique».

Dans un pays amputé d'une bonne partie de ses sept millions d'habitants — presque un million de morts et plus de deux millions de réfugiés — la nouvelle armée au pouvoir a recruté à la va-vite où elle le pouvait parmi la minorité Tutsi, n'hésitant pas à armer des milliers de jeunes garçons sans avoir le temps de les former.

SOUVENT STIGMATISES

A quelques kilomètres de Cyangugu, une fois passée la frontière zaïroise, la question des enfants soldats reste d'actualité. Dans les immenses camps de réfugiés, de nombreux enfants sont d'anciens membres des FAR, l'armée déchue. Surnommés les «Craps», car ils ont la réputation d'être des «crapules», ils sont souvent stigmatisés et marginalisés, parfois même victimes d'abus.

«Il faut distinguer trois types de Craps», explique Giovanni Bushishi, un psychologue rwandais travaillant pour l'UNICEF à Bukavu (Zaïre). «Les premiers enfants recrutés systématiquement par l'armée gouvernementale l'ont été dès le début de la guerre civile en 1990. Ces enfants étaient généralement pauvres et marginalisés et l'armée représentait une opportunité unique pour eux de s'en sortir. Puis lorsque les événements se sont précipités au printemps 1994 et que la guerre civile s'est généralisée, des enfants se sont joints spontanément aux forces armées alors que d'autres ont été forcés de le faire afin de ne pas être massacrés. Officiellement les garçons étaient chargés d'aider les militaires à transporter les armements et les filles étaient enrôlées pour faire la cuisine. En réalité, de nombreux garçons ont été armés et ont combattu alors que les filles étaient considérées comme le gibier du combattant '»…

Le génocide rwandais a tragiquement touché les enfants. Selon Graça Machel, veuve de l'ancien président mozambicain Samora Machel et mandatée par Boutros Boutros Ghali pour faire une étude sur les enfants et la guerre, plus d'un tiers des victimes — soit environ 300 000 enfants —auraient été tuées, alors que 80 à 90% des enfants survivants seraient traumatisés.

Les évaluations de l'UNICEF confirment également cette situation catastrophique. Selon un rapport 1 réalisé par trois grands spécialistes, «la majorité des enfants a été exposée à des atrocités à un degré jamais vu auparavant».

Dans une étude 2 réalisée dans un orphelinat (9-15 ans) à Nyamata (Rwanda), l'UNICEF a constaté «que plus de la moitié du groupe [d'enfants] a été le témoin d'assassinats de membres de leur famille et que 75% du groupe a vu d'autres personnes être tuées».

ATTENTION SPECIALE

L'équipe d'experts conclut «qu'une attention spéciale doit être donnée au fait horrifiant qu'un large nombre d'enfants dit avoir vu d'autres enfants participer aux meurtres. Même si le phénomène des enfants soldats est désormais connu, nous pensons que ce que nous avons découvert ici est même pire que le recrutement régulier d'enfants soldats 3».

Samir Basta, Directeur du bureau de l’UNICEF à Genève explique que, dans certaines situations, des enfants peuvent froidement se transformer en assassins: «Au Rwanda, comme dans d'autres endroits, les auteurs de certaines des pires atrocités étaient des enfants. Ils désirent appartenir à un groupe et recevoir des louanges. Pour cela, ils peuvent devenir plus braves ou plus barbares que des adultes 4».

ANCIENS ENFANTS SOLDATS

Aujourd'hui, l'UNICEF considère que le Rwanda compte 115 000 enfants non accompagnés dont plus de 30 000 ont été enregistrés par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) qui a déjà retrouvé les parents de quelques milliers d'entre eux (voir encadré). Parmi ces enfants, la communauté des organisations non gouvernementales évalue à quelques milliers les enfants Craps. Souvent mal encadrés dans les camps de réfugiés faute de moyens du côté des ONG, ces anciens enfants soldats sont, non seulement, profondément traumatisés mais également victimes de discriminations.

DES TRAUMATISMES PROFONDS

«Ceux qui portent l'étiquette de Craps sont lourdement marginalisés alors qu'ils devraient au contraire reprendre contact avec une réalité plus normale. Certains Craps ont été récompensés pour avoir tué: aujourd'hui il faut les aider à se réconcilier avec d'autres valeurs» raconte Annabel Shearer de Save the Children Fund-UK. Tâche difficile car les traumatismes sont profonds et les sollicitations sont diverses dans les camps.

Ainsi, certains Craps se sont « recyclés » dans des trafics en tout genre, d'autres sont recrutés par d'anciens militaires qui se réentraînent dans la semi-clandestinité. «Les Craps ce sont des petits adultes», dit l'abbé belge André Lerusse qui a mis sur pied avec CaritasInternationalis des centres pour enfants non accompagnés dans le Sud-Kivu (Zaïre).

Le personnel souvent peu qualifié de ces centres reste pourtant démuni face aux profondes blessures psychologiques des enfants Craps. «Des milliers d'enfants ont participé à la guerre et certains d'entre eux souffrent de troubles profonds, alors que d'autres vivent un terrible sentiment de culpabilité car ils ont commis des violences après avoir été recrutés de force: c'était soit l'armée soit la mort», explique Giovanni Bushishi de l'UNICEF. «Des enfants de dix ans étaient impliqués dans des massacres. Comment faut-il les punir? 5», se demande Fereydoun Alaam, chef du CICR à Gikongoro. Une terrible question qui situe pleinement l'ampleur du drame pour les enfants rwandais.

1 Children's exposure to war scenes in Rwanda, Dr. Atle Dyregrov, Dr. Magne Raundalen, Dr. Rolf Gjestad, septembre 1994, UNICEF, 14 p.

2. ibid, p. 3.

3. ibid, p. 4.

4. Africa's child guerillas: A legion of killers to do the dirtiest work, Bill Keller, in International Herald Tribune, 10 novembre 1994, p. 2.

5. voir The hard lessons of Rwanda, Kim GordonBates, in Crosslines, Volume 2, numéro 4-5, octobre 1994, Genève, pp. 1-6.






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