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Défense des enfants international
section suisse
 
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Justice et tourisme sexuel (II)
Beaucoup de bruit pour rien ?
Par Marie-Françoise Lücker-Babel

  
[ Bulletin DEI, Oktober 1995 Band 1 Nr 2 S. I, II, III, IV ]

L’efficacité de la lutte contre le tourisme sexuel et l’exploitation sexuelle des enfants requiert L' la réunion de plusieurs paramètres: une législation adéquate, un réseau de coopération internationale et une volonté indéfectible de mettre fin à l’esclavage des enfants. Depuis l’adoption de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, la question du trafic et de l’exploitation sexuelle des enfants fait l’objet d’une attention soutenue de la part de la communauté des Etats. 1 On note aussi un intérêt accru manifesté par les autorités suisses. Faut-il y croire, ou n’est-ce là qu’un discours de plus, certes bien intentionné, mais dont l’effet utile doit être encore prouvé ?


L’INFLATION DES EFFORTS INTERNATIONAUX


En 1992, la Commission des droits de l’homme des Nations Unies adoptait le Programme d’action pour la lutte contre la vente d’enfants, la prostitution d’enfants et la pornographie impliquant des enfants (résolution 1992/74). Le Programme s’articule très exactement avec la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, dont il constitue la prolongation dans un domaine bien précis. Bien que de caractère non contraignant pour les Etats, le Programme a l’avantage de proposer une panoplie complète de mesures à prendre et d’efforts à accomplir pour avancer vers l’objectif de l’éradication de l’esclavage sexuel des enfants. Il constitue aux yeux des organisations non gouvernementales (ONG) un outil de travail suffisant, à la promotion duquel le Groupe des ONG sur la Convention a fortement contribué. 2 Pour certains Etats, cet effort n’est toutefois pas suffisant et, sous l’impulsion de Cuba, la Commission des droits de l’homme a créé en 1994 un “groupe de travail intersessions à composition non limitée” (résolution 1994/90). Ce groupe a siégé pour la première fois en 1994. 3 Son mandat consiste à définir les lignes d’un éventuel projet de protocole facultatif sur la vente, la prostitution et la pornographie enfantines, et de définir les mesures de base à prendre pour prévenir et éliminer ces pratiques. On remarquera le caractère plutôt évasif des termes, ainsi que le risque de double emploi avec le Programme de 1992. La situation est révélatrice de l’ambivalence des gouvernements: la question se pose en effet de savoir si l’on veut laisser à la Convention et au Programme d’action le temps de faire leurs preuves dans l’amélioration du sort des enfants, ou si l’on se lance immédiatement dans des processus d’affinement de la législation internationale qui pourraient toucher de nombreux domaines (travail des enfants, trafic de drogues, etc.). Le Comité des droits de l’enfant, de même que certaines ONG ont fait connaître leurs réserves par rapport au processus engagé et à la crainte d’une prolifération d’instruments internationaux.

Parallèlement à ces efforts normatifs, le Rapporteur spécial sur la vente d’enfants, dont les rapports successifs ont permis une réelle percée du thème “exploitation sexuelle des enfants” dans les préoccupations des Nations Unies, continue son travail et reste une ressource pour la surveillance des informations, allégations et dénonciations ayant trait à son mandat. Bien qu’elle ne soit pas membre des Nations Unies, la Suisse a choisi de ne pas rester à l’écart de ces événements internationaux; elle a récemment été dans le collimateur du Rapporteur spécial pour des événements qui ont défrayé la chronique nationale et internationale, et elle a pris part aux travaux du “groupe de travail intersessions”.


LA SUISSE: AU-DELA DES BEAUX DISCOURS


En Suisse, le discours officiel portant sur la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants s’est considérablement étoffé. Le ton en est suffisamment déterminé pour servir de base à une initiative des autorités fédérales et cantonales dans ce domaine, mais aucune action ne se profile à l’horizon.

Le 21 mars 1994, la Confédération a fait savoir au Secrétaire général des Nations Unies qu’elle envisageait de ratifier la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui (1949). 4 Le Code pénal suisse réprime l’encouragement à la prostitution et la traite des êtres humains (articles 195 et 196), et répond dans ses grandes lignes aux exigences de cette Convention. Par ailleurs, la Suisse est déjà partie à la Convention relative à l’esclavage (1926), à la Convention supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l’esclavage (1956), ainsi qu’aux Conventions relatives au travail forcé adoptées dans le cadre de l’Organisation Internationale du Travail.

Mais tout ne se règle pas par l’intermédiaire d’une disposition pénale; comme l’expérience l’a montré, les ressources législatives des pays d’origine des touristes ne suffisent pas à juguler l’exploitation des enfants du Tiers-Monde. Le gouvernement suisse ne s’en cache pas, comme le révèle son rapport au Comité des droits de l’homme des Nations Unies. 5


LA SITUATION LEGISLATIVE


L’une des nouveautés prônées dans la lutte contre l’esclavage sexuel des enfants consiste à rendre les actes incriminés punissables dans le pays d’origine de l’exploiteur présumé. C’est ainsi que les codes pénaux allemand et français ont été amendés. 6 Le Code pénal suisse (CPS) contient deux dispositions générales, l’une applicable aux Suisses (article 6 CPS), l’autre aux personnes résidant en Suisse (article 6 bis CPS). La clé de cette répression réside dans deux exigences cumulatives: que le crime ou le délit donne lieu à extradition (pour les Suisses) ou ait été inclus dans un traité international d’extradition (pour les étrangers), et qu’il soit aussi réprimé dans le pays où il a été commis. La ressource législative est là, mais sa mise en application, en matière d’exploitation sexuelle, n’apparaît pas aisée.


LES TRAITES D’EXTRADITION


L’intérêt envers la répression de l’esclavage sexuel n’est pourtant pas récent. Les divers traités d’extradition conclus entre la Suisse et El Salvador (1883), l’Argentine (1906) et le Brésil (1932), par exemple, font tous expressément état du viol, de l’attentat à la pudeur sur des enfants, de la traite des femmes et des enfants, de l’enlèvement de mineurs comme donnant lieu à l’extradition de personnes d’un Etat contractant vers l’autre. Actuellement, la Loi fédérale sur l’entraide internationale en matière pénale, du 20 mars 1981, définit comme susceptible de donner lieu à une extradition “l’infraction [qui] est frappée d’une sanction privative de liberté d’un maximum d’au moins un an ou d’une sanction plus sévère aux termes du droit suisse et du droit de l’Etat requérant” (article 35 al. 1 EIMP). Les diverses infractions contre l’intégrité sexuelle, telles que les définit le Code pénal suisse, prévoient des peines pouvant aller de un à cinq ou dix ans de réclusion. 7 Elles permettraient donc d’appliquer l’article 6 du Code pénal suisse. Mais comment satisfaire l’autre condition, à savoir la punissabilité de l’acte en pays étranger ?


LA MOTION VON FELTEN


La question de la répression du tourisme sexuel a déjà fait l’objet de recommandations dans le Rapport Enfance maltraitée, établi par un Groupe de travail à la demande du Conseil fédéral et publié en 1992 (p. 112). Pour aller de l’avant, la conseillère nationale M. von Felten a adressé, le 6 octobre 1993, une motion au Conseil fédéral (motion n O 93.3474). Elle y demande que les actes sexuels sur des enfants de moins de 16 ans et la fabrication ou possession de pornographie enfantine soient rendus punissables en Suisse, lorsqu’ils sont réalisés à l’étranger et même s’ils ne sont pas poursuivis dans le pays en question. Car, comme le souligne M. von Felten, “il est particulièrement choquant qu’une personne puisse, à quelques heures d’avion de la Suisse, commettre en toute impunité des actes pour lesquels elle encourrait chez nous une peine de réclusion pouvant aller jusqu’à cinq ans”. Le Conseil fédéral a répondu à la motionnaire en février 1994. Tout en se référant à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, le Conseil fédéral cherche à élargir la question vers d’autres abus sexuels (viol et contrainte) et sans distinguer selon que l’auteur est suisse ou étranger. Il relève la difficulté d’obtenir des preuves, le manque de coopération des Etats étrangers (pour lesquels la question n’est pas prioritaire), les incompatibilités entre les diverses législations qui ne contiennent pas les mêmes définitions des abus, ni les mêmes conditions d’âge. A ses yeux, d’autres situations que les abus sexuels envers les enfants mériteraient encore considération lors d’une éventuelle révision de la loi (la traite des femmes par exemple). En conclusion, le gouvernement reconnaît que “l’exploitation sexuelle des enfants en état de détresse a pris des dimensions effrayantes dans certains pays. Le Conseil fédéral est résolu à prendre des mesures adéquates pour améliorer la protection des enfants.” En mars 1995, le Conseil national a accepté de transformer la motion de M. von Felten en postulat, soit en une demande moins contraignante adressée au Conseil fédéral. Quelles seront ces mesures dont le Conseil fédéral fait état à chaque fois que la question est soulevée ? Hormis une action du Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes, sous la forme d’un dépliant distribué aux touristes à partir de 1991, bien peu d’actions semblent en gestation. En 1995, c’est une association privée, terre des hommes (Lausanne), qui a relancé le travail de sensibilisation, en collaboration cette fois-ci avec les agences de voyage.


LE PASSAGE A L’ACTE


Rarement occasion fut si belle, serions-nous tentés de dire, de mettre en application tous ces beaux principes. Et pourtant, quels obstacles ne vont-ils pas encore se dresser sur le chemin de la répression des abus sexuels commis à l’étranger ? En 1993, la chaîne française de télévision TF 1 présentait un reportage dans lequel deux journalistes avaient piégé un pédophile d’origine suisse; celui-ci avouait devant la caméra cachée son intérêt pour les jeunes garçons philippins et son intervention pour en amener quelques-uns en Europe. Et les découvertes de s’enchaîner: Roland S., antérieurement Roland W., avait déjà amené un jeune Philippin en Suisse en 1989; Edwin B. s’était enfui de chez son protecteur et avait regagné les Philippines; malgré une interdiction de séjour dans ce pays, Roland W. (S.) était reparti à la rencontre d’Edwin B. aux Philippines; il avait entre-temps réussi à prendre un nom de famille thaïlandais en 24 heures, grâce à la diligence des autorités argoviennes compétentes. Edwin B.est revenu en Suisse, en 1993, à l’instigation du même W. (S.) et a de nouveau quitté son “protecteur”. Roland W. (S.) a finalement été arrêté à Genève en septembre 1993 sous l’accusation de contrainte envers Edwin qu’il a voulu “ récupérer ” par la force. Dix-huit mois de prison n’ont pas suffi à obtenir toutes les éléments de preuves nécessaires pour étoffer suffisamment le dossier pénal, si bien qu’en mars 1995, Roland W. (S.) doit être libéré. La procédure suit son cours. Jusqu’à ce qu’Edwin disparaisse, que l’on se rende compte qu’il désire se rétracter et que son ancien protecteur a passé quelques temps avec lui durant l’été 1995. Voilà Roland W. (S.) de nouveau en prison, en septembre 1995, prévenu de tentative de subornation de témoins. Que de rebondissements en l’espace de six ans, sans qu’à ce jour un tribunal suisse n’ait pu, une fois pour toutes, dire le droit et, au besoin, condamner les abus commis sur des enfants à l’étranger. La faute en est moins au Code pénal suisse qui offre des ressources suffisantes, qu’à une perception probablement émoussée de la réalité et de la gravité de l’exploitation sexuelle des mineurs en terre étrangère. Il est pourtant nécessaire d’oser faire un premier pas marquant dans cette lutte, sans se laisser impressionner par l’éloignement géographique et par la complexité d’une affaire marquée par les relations de dépendance qu’entretiennent l’abuseur et sa victime. D’ailleurs en 1994, le gouvernement suisse a solennellement annoncé au Rapporteur spécial des Nations Unies sur la vente d’enfants que des mesures étaient prises pour poursuivre l’accusé. 8


ET SI ON NETTOYAIT DEVANT NOTRE PORTE ?


La prostitution de mineurs n’est pas un phénomène exotique. On la rencontre chez nous aussi et c’est la définition donnée à l’“enfant” qui devrait déterminer si l’on se trouve ou non face à un interdit. Or voilà qu’aux termes des dispositions du Code pénal suisse, un mineur atteint sa majorité sexuelle à 16 ans. A partir de cet âge, des relations sexuelles librement consenties ne sont pas punissables aux yeux de la loi pénale (voir l’article 187 du CPS). C’est à cette base juridique que la police genevoise se réfère pour tolérer la prostitution de mineures de 16 à 18 ans et, semble-t-il, même l’emploi de prostituées dans des salons prodiguant des

“massages érotiques”. 9 Mais l’Etat a un devoir absolu de protection envers les enfants, dans les limites de la définition de la minorité. Si la majorité est atteinte avant l’âge de dix-huit ans (en matière pénale, religieuse, sexuelle, en droit du travail par exemple), l’Etat n’est pas pour autant délié de toute obligation de prêter une attention et d’offrir une protection particulières à ces mineurs. Le nier reviendrait en effet à abandonner les enfants dans les griffes d’abuseurs de tous ordres, que ce soit dans des sectes religieuses, dans le monde du travail, voire dans la famille sous la forme de mauvais traitements.

On peut à la rigueur tolérer le fait qu’un(e) mineur(e) de 16 ans et plus se prostitue en se basant sur la notion d’autodétermination sexuelle, tout en espérant que ce devoir étatique de protection de l’enfance se manifeste encore envers les jeunes prostitué(e)s. Par contre, l’emploi de mineures dans des salons de massage est non seulement inacceptable, mais encore contraire à la Loi fédérale sur le travail dans l’industrie, l’artisanat et le commerce, du 13 mars 1964: “Il est interdit d’occuper les jeunes gens […] de moins de 18 ans révolus, au service de la clientèle dans les entreprises de divertissement, tels les boîtes de nuit, dancings, discothèques et bars” (article 56 lettre c). L’activité des salons de massage étant assimilée à de la prostitution, selon les termes du règlement genevois relatif à l’exercice de la prostitution (du 6 juillet 1994), on peut sans risques affirmer que l’emploi de mineur(e)s de moins de dix-huit ans dans une entreprise de ce type est incompatible avec genevoise se réfère pour tolérer

l’obligation faite à l’employeur de “veiller à la sauvegarde de la moralité” et de protéger les jeunes travailleurs contre de “mauvaises influences dans l’entreprise” (article 29 al. 2 de la Loi sur le travail). Il nous paraît donc urgent soit que les autorités genevoises procèdent à une adaptation du Règlement relatif à l’exercice de la prostitution en y incluant la limite d’âge de 18 ans, soit que la police effectue ses contrôles en interdisant de telles occupations aux mineures de moins de 18 ans.

1 Voir le DOSSIER DEI-SUISSE, Vol. 1, No 1.

2 Voir “Lutter contre la vente d’enfants, la prostitution et la pornographie enfantines. Programme d’action de l’ONU” (1992), édité par le Groupe des ONG pour la Convention, c/o Défense des Enfants-International (DEI), Case postale 88, 1211 Genève 20.

3 Voir le document du Conseil économique et social, Commission des droits de l’homme, E/CN.4/1995/95, 10 février 1995.

4 Voir le document du Conseil économique et social, Commission des droits de l’homme E/CN.4/Sub.2/AC.2/1995, pp. 17-19.

5 Voir le Bulletin suisse des droits de l’enfant, Vol. 1, N o 2.

6 L’article 227-25 du Code pénal français stipule que: “Le fait pour un majeur, d’exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de quinze ans est puni de deux ans d”emprisonnement et de 200 000 F d’amende”. L’article 227-26 élève cette peine à cinq ans d’emprisonnement et 500 000 F d’amende si l’infraction “s’accompagne du versement d”une rémunération” (ch. 4). Le second alinéa de l’article 227-26, introduit le 1er février 1994, rend cette même infraction punissable en France si elle a été commise à l’étranger, ceci sans que la victime et ses ayants-droit n’aient porté plainte ou les autorités officielles ne l’aient officiellement dénoncée.

7 La seule exception notable est celle de l’abus de la détresse d’autrui, c.à.d. des situations où l’auteur profite du lien de dépendance dans lequel se trouve la victime pour commettre un acte sexuel.

8 Voir le document de l’Assemblée générale des Nations Unies A/49/478, 5 octobre 1994, § 134.

9 Voir Le Nouveau Quotidien du 23 mars 1995. Dans son Règlement relatif à l’exercice de la prostitution du 6 juillet 1994, le Conseil d’Etat genevois a assimilé les masseuses à des prostituées. Cette manière de voir a été récemment confirmée par le Tribunal fédéral (voir Semaine Judiciaire, Genève, 1995, N o 30, pp. 570-573).






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