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Défense des enfants international
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La pédagogie et les droits de l’enfant : histoire d’un malentendu ? 1
  
[ Bulletin DEI, décembre 2003 Vol 9 No 4 p. 2, 3, 4, 5. ]

Par Philippe Meirieu Professeur des universités Directeur, Institut universitaire de formation des maîtres, Lyon


La Convention internationale des droits de l’enfant 2, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 20 novembre 1989, est l’aboutissement d’une très longue histoire. On peut, bien sûr, l’inscrire dans la filiation de Rousseau et, peut-être même, voir en Montaigne un de ses précurseurs. On doit, de toute évidence, la faire remonter aux années 1920, puisque que c’est à ce moment-là que Janusz Korczak réclama pour la première fois à la Société des Nations une «Charte pour la protection des enfants». Le 17 mai 1923, l’Union internationale de secours aux enfants proclama, pour la première fois, une Déclaration des droits de l’enfant, dite aussi «Déclaration de Genève», qui était essentiellement centrée sur le soutien et l’assistance aux enfants en difficulté mais qui, néanmoins, comportait déjà un certain nombre de principes qui seront repris en septembre 1924 par l’assemblée de la Société des Nations. Mais la déclaration à laquelle nous nous référons aujourd’hui, c’est celle de novembre 1959, qui, 30 ans plus tard, le 20 novembre 1989, est devenue une Convention. Une convention, c’est-à-dire non pas une simple déclaration d’intention, mais un texte ayant force de loi et constituant une référence obligée pour tous les pays qui y adhèrent. (…)

La Convention internationale relative aux droits de l’enfant: au cœur des contradictions de l’acte éducatif.

Les objections faites à la Convention internationale des droits de l’enfant relèvent de plusieurs registres mais renvoient toutes au même présupposé: le seul véritable droit de l’enfant est le droit d’être éduqué, à recevoir une éducation que seuls les adultes, éduqués eux-mêmes, peuvent lui donner. Ainsi, l’on fait observer que la Convention joue en permanence sur deux registres, «deux exigences disjointes» 3: la nécessité de protéger l’enfant pour tenir compte de sa fragilité particulière («L’enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d’une protection spéciale et de soins spéciaux […]» 4 )et la nécessité de lui reconnaître «le droit à la liberté d’expression» 5, le libre choix de ses opinions et appartenances 6, de le traiter comme un être responsable, déjà capable de penser par lui-même… ce que, précisément, il n’est pas encore. On stigmatise ainsi la démission d’adultes qui, en reconnaissant aux enfants des droits qu’ils sont incapables d’exercer, s’exonèrent de leur obligation première: l’exigence éducative. On ajoute qu’en renonçant à cette exigence, on bascule dans la démagogie: on oublie que ce qui est formateur pour un enfant ce sont les devoirs qui lui sont imposés par les adultes et auxquels il doit se soumettre pour grandir. Parallèlement, l’on souligne qu’en imposant à des enfants d’exercer prématurément des responsabilités auxquelles ils ne sont pas préparés, on fait peser sur leurs épaules un poids qu’ils ne peuvent porter et que l’on compromet gravement leur avenir. Tout cela relèverait, en fait, d’une «ontologisation de l’enfance», une fascination pour un moment de la vie dont on oublierait qu’il est le moment de l’immaturité inévitable. Cette «ontologisation» serait corollaire de notre propre infantilisation: nous refuserions nous-mêmes de grandir et ferions de l’enfance un horizon mythique… nous rêverions, en secret, d’un monde réduit à l’état d’enfance qui s’abîmerait dans l’irresponsabilité collective, fasciné par Mac Donald, les jeux vidéos, la célébration d’Halloween et la publicité télévisée… Bref, les droits de l’enfant auraient ouvert la porte à un univers de «l’enfant-roi» dans lequel l’égalitarisme entre enfants et adultes permettrait aux uns et aux autres de se rejoindre dans le culte de l’infantile. Il y a là – il ne faut pas s’en cacher – de véritables objections qu’il faut absolument prendre au sérieux. Elles trouvent leur meilleur soutien argumentaire dans l’œuvre d’Hanna Arendt 7 . Pour cette dernière, le rôle de l’éducation est, simultanément, d’introduire l’enfant dans le monde, de manière ordonnée et progressive, et de préserver l’enfant des vicissitudes du monde pour garder intact son pouvoir de «renouveler le monde». Dans ces conditions, il est absurde d’affirmer, par exemple, que les enfants pourraient choisir ce qu’ils doivent apprendre: les enfants doivent apprendre la langue que parlent les parents; ils doivent apprendre les disciplines scolaires que leurs enseignants considèrent comme nécessaires pour leur développement. Ils doivent délibérément «être éduqués» par des adultes qui assument sereinement la dénivellation inhérente à tout rapport éducatif.

«La ligne qui sépare les enfants des adultes, explique Hannah Arendt, devrait signifier qu’on ne peut ni éduquer les adultes, ni traiter les enfants comme des grandes personnes.» 8 Il est donc nécessaire de fixer une frontière qui permette d’identifier à quel moment un être doit être statutairement considéré comme «adulte», responsable de ses actes et participant aux décisions dans la Cité. Cette «frontière» est même constitutive de l’existence de toute démocratie: elle garantit que l’on se donne les moyens de former les citoyens avant qu’ils ne soient reconnus officiellement comme tels et que, simultanément, on s’interdit d’«éduquer les adultes»: quel adulte en effet, et au nom de quelle investiture, peut-il s’arroger le droit d’éduquer ses semblables, sinon dans une perspective totalitaire? Certes les adultes doivent-ils continuer à apprendre mais ils doivent le faire, contrairement aux enfants, en décidant eux-mêmes de ce qu’ils vont apprendre. Et, effectivement, sur le plan politique, Hanna Arendt a indiscutablement raison. Toute démocratie suppose une frontière à partir de laquelle on considère l’individu en tant que citoyen, donc capable de participer à la vie sociale. Cette frontière est nécessairement arbitraire, fixée à partir d’un âge donné, liée à un rite initiatique particulier ou identifiée à l’entrée dans une activité spécifique, un niveau d’études ou le travail salarié, par exemple. Peu importe, finalement, ce qui constitue la césure: l’essentiel c’est qu’à un moment bien repéré, l’on considère qu’un individu peut participer pleinement à la décision collective; nul n’a le droit, alors, en dehors des instances juridiques compétentes, de récuser la voix de quiconque sous le prétexte qu’il est mal éduqué, qu’il est pas vraiment conscient de ses actes ou qu’il ne serait pas assez mature. On ne peut pas plus renvoyer un adulte dans l’immaturité qu’on ne peut précipiter un enfant dans la responsabilité civique de manière prématurée. Seuls les régimes totalitaires font voter les enfants, les utilisent pour dénoncer les adultes qui «pensent mal» et, simultanément, infantilisent systématiquement ces derniers.

Jusque-là, il est difficile de récuser l’analyse d’Hannah Arendt: elle a raison d’insister sur l’impétueux devoir d’antécédence de l’adulte, sur la nécessité de préparer l’enfant à l’exercice de sa vie citoyenne par une éducation qui ne le précipite pas trop vite dans un monde qu’il ne pourrait pas encore affronter, sur la nécessaire distinction entre le devoir d’éduquer les enfants et l’interdiction d’éduquer les adultes. D’où vient alors qu’il y ait débat et sur quoi porte-t-il?

Chacun s’accorde sur le fait que le premier droit de l’enfant est le droit à l’éducation, chacun s’accorde sur la nécessité d’une préparation à l’exercice de la citoyenneté… mais le désaccord porte sur les conditions de cette préparation et la nature de l’éducation à lui proposer. D’un côté, il y a ceux qui affirment que, parce qu’il est dans la minorité, l’enfant doit recevoir une éducation qui lui impose les principes nécessaires à son développement et les comportements permettant l’émergence de sa liberté. D’un autre côté, il y a ceux qui affirment qu’on ne forme à la liberté que par l’exercice de la liberté et que l’éducation doit faire de cette dernière non seulement son objectif mais aussi son moyen. D’un côté, il y a ceux qui pensent qu’en prenant les enfants pour ce que l’on voudrait qu’ils soient – conscients, responsables, capables de jugement – on les empêche de le devenir. D’un autre côté, il y a ceux qui soutiennent qu’on ne peut pas préparer à la liberté par la contrainte et qu’en repoussant à plus tard l’exercice de la responsabilité, on s’interdit de le former. D’un côté, il y a ceux qui croient que la soumission à une discipline imposée forme la volonté nécessaire à l’exercice de la citoyenneté adulte. D’un autre côté, ceux qui pensent que la libre implication dès l’enfance dans une activité collective permet de découvrir soi-même les règles nécessaires à l’accès à la responsabilité citoyenne. D’un côté ceux qui croient possible de former à la démocratie par la rigueur de l’instruction. De l’autre, ceux qui sont convaincus qu’on ne peut former à la démocratie que par la démocratie elle-même 9.

Or, dans ce débat, la Convention internationale des droits de l’enfant semble prendre parti: elle affirme d’abord, dans ses articles 5 et 6, le devoir des adultes d’œuvrer pour le développement de l’enfant, puis, plus loin, aux articles 28 et 29, elle insiste sur «le droit à l’éducation» et précise que cette éducation doit viser à «inculquer à l’enfant le respect de ses parents, de son identité, de sa langue et de ses valeurs culturelles, ainsi que le respect des valeurs nationales du pays dans lequel il vit, du pays duquel il peut être originaire et des civilisations différentes de la sienne». Elle ajoute ensuite que cette éducation doit «préparer l’enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d’égalité entre les sexes et d’amitié entre tous les peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux, et avec les personnes d’origine autochtone. » Entre-temps, entre l’affirmation du droit à l’éducation et celle de la nécessité d’«inculquer» des valeurs à l’enfant, la Convention, en son article 12, explique que «les Etats garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant. »

Certes, la Convention prend ici une précaution oratoire significative puisqu’elle parle d’un enfant «capable de discernement»; mais, outre le caractère assez évasif de l’expression, elle développe plus loin, et là sans réserve particulière, le droit à la liberté d’expression, de pensée, de conscience, de religion, d’association, de manifestation ainsi que le droit de donner son avis dans tous les problèmes qui le concernent. Sauf à faire injure aux rédacteurs, on ne peut imaginer qu’ils pensaient là à l’expression de «droits positifs» juridiquement reconnus quels que soient l’âge, le niveau de développement, l’éducation et les conditions de vie des enfants; il ne peut s’agir, en aucun cas, de droits qui témoigneraient de capacités existantes et équitablement réparties entre les personnes, indépendamment de la formation qu’elles reçoivent. Il ne peut s’agir, en réalité, que du droit à former les enfants à ces droits par leur exercice même. Ce qui revient, on le voit, à se ranger dans le camp des «pédagogues» contre celui des «philosophes»… à affirmer, comme Freinet, que «c’est bien en forgeant qu’on devient forgeron» 10 ou, comme Dewey, que «seule la pratique de la démocratie forme à l’exercice de la démocratie… 11 et à récuser la vision que Kant, par exemple, pouvait avoir de l’école: «On envoie d’abord les enfants à l’école, non pour qu’ils y apprennent quelque chose, mais pour qu’ils s’y accoutument à rester tranquillement assis et à observer ponctuellement ce qu’on leur ordonne… 12»

Le Ministère de la Solidarité et des affaires sociales a proposé, en 1999, une analyse de la Convention à partir des trois «P»: Protection, Prévention, Participation 13. Or, l’on voit bien que les deux premiers volets ne sont pas du tout sur le même registre que le troisième, dans la mesure où la «participation» est impensable en dehors du processus éducatif qui l’accompagne… Ce qui n’est évidemment pas le cas pour la protection et la prévention qui s’appliquent en quelque sorte «de l’extérieur» aux enfants: ils sont «objets» de protection et de prévention ils sont «sujets» en matière de participation. Et c’est bien ce troisième volet qui fait question: ainsi, dans l’enquête publiée par le journal Le Monde, le 8 novembre 1999, les lecteurs interrogés sur les droits fondamentaux de l’enfant mettent d’abord en avant le droit à la nourriture, à la santé, à la protection contre les violences sexuelles ou l’exploitation par le travail… ils n’invoquent le droit à la «participation» que dans un seul cas qu’ils placent en septième position: le droit de donner son point de vue en cas de divorce des parents. C’est que «la participation» n’est pas strictu sensu, un droit. C’est une exigence, une position pédagogique, une manière de concevoir l’éducation à la responsabilité et à la citoyenneté.

C’est par ce biais que la Convention internationale des droits de l’enfant nous conduit au cœur de la question éducative, vers l’articulation difficile entre le nécessaire exercice de l’autorité de l’adulte et la prise en compte indispensable de la liberté de l’enfant. (…)

Les droits de l’enfant: un enfant reconnu pleinement comme un «sujet» mais qui a besoin d’être éduqué pour devenir «citoyen»

Finalement, les droits de l’enfant nous ont entraîné au cœur des questions vives de l’éducation… à la rencontre de l’enfant, à la rencontre d’un sujet, déjà pleinement «sujet» et qu’il est pourtant impossible, avant qu’il ait accédé à la majorité, de considérer comme un «citoyen». Déjà sujet et pleinement sujet: sujet qui existe et résiste au pouvoir que je cherche à exercer sur lui; sujet qui peut seul se mobiliser sur des apprentissages et décider de grandir, résister à toutes les formes d’emprise et accéder à la pensée critique… Mais un sujet qui ne peut faire seul que ce que nous savons faire avec lui, dans des conditions dont nous décidons, dans des situations éducatives dont nous assumons la pleine et entière responsabilité. L’autorité de l’adulte, ici, n’est pas abolie, bien au contraire; elle est au cœur du dispositif: quand l’autorité remplit vraiment sa fonction, qu’elle autorise… Elle autorise l’autre à grandir et à se revendiquer, un jour, de plein droit, citoyen.

Et peut-être, à cet égard, les droits de l’enfant sont-ils particulièrement bien résumés par l’article 7 de la Convention? On y lit que «tout enfant a droit à un nom». Voilà une affirmation trop évidente peut-être pour paraître importante. Et pourtant, la littérature nous montre bien, à travers, par exemple, l’histoire de Perceval 14, qu’avoir un nom n’est pas chose facile: Perceval 14 ne sait, en effet, au début de l’histoire, ni qui il est, ni comment il se nomme. Et, à l’issue de la quête du Graal, la seule chose qu’il aura découverte, c’est précisément son propre nom. Il peut alors dire d’où il vient, qui il est, il peut dire «je». Car le nom permet de sortir de la confusion, de l’anonymat; il permet, tout à la fois, de s’inscrire dans une histoire, de se donner un présent et, peut-être, de laisser une trace dans le futur. Il permet de nouer tout ce qui, mystérieusement, vient de soi… pour, progressivement, le revendiquer, devenir capable de se l’imputer, et, enfin, de le signer.

1. Tiré du livre du même titre, avec l’aimable autorisation de l’auteur (éditons du Tricorne, 2002). Cet article va paraître dans «Lois et enfance», revue «Petite Enfance», N o 88, décembre 2003.

2. Telle est la terminologie utilisée en France pour désigner la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.

3. Finkelkraut Alain, «La mystification des droits de l’enfant», Les droits de l’enfant, Actes du colloque européen d’Amiens, 8, 9 et 10 novembre 1990, Amiens, CRDP, 1991, pages 63 à 80.

4. Préambule de la Convention internationale des droits de l’enfant.

5. «L’enfant a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toutes espèces, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen du choix de l’enfant.»Article 13.1 de la Convention internationale des droits de l’enfant.

6. «Les Etats respectent le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion.» Article 14.1 de la Convention internationale des droits de l’enfant.

7. La crise de la culture, Paris, Folio, 1991, en particulier pages 223 à 252.

8. Idem.

9. Sur ces suppositions, Voir Meirieu Philippe et Delevay Michel, Emile, reviens vite, ils sont devenus fous, Paris, ESF éditeur, 1992, pages 93 à 136.

10. Freinet Célestin, Les dits de Mathieu, Neuchâtel et Paris, Delachaux et Niestlé, 1978.

11. Dewey John, Démocratie et éducation, Paris, Armand Colin, 1990.

12. Kant Emmanuel, Traité de pédagogie, Paris, Vrin, 1974.

13. Note de la rédaction: La notion des trois «P» a été créée par Nigel Cantwell, fondateur de DEI, au moment de l’entrée en vigueur de la Convention. Elle désignait, à l’origine, la gamme des droits garantis par la Convention: «prestation, protection et participation» (source: «Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant», DEI, introduction par N. Cantwell, 1995).

14. Meirieu Philippe, Des enfants et des hommes, Paris, ESF éditeur, 1999, pages 19 à 26.






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