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Défense des enfants international
section suisse
 
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Droit à la réparation en cas d’abus sexuels: Retour sur une jurisprudence controversée
  
[ Bulletin DEI, juin 2004 Vol 10 No 2 p. 11, 12, 13 ]

Le 24 février 2004, le Tribunal fédéral a rendu un jugement fort discuté relatif à des actes sexuels envers un garçon mineur. L’adolescent, abusé par un responsable d’activités de jeunesse, n’avait pas obtenu entière réparation pour les actes qu’il avait subis, car il ne s’était pas opposé à son agresseur avec suffisamment de détermination. Son attitude pouvait donc justifier une réduction des dommages-intérêts et de la réparation morale dus par l’auteur des méfaits. Le jeune A., âgé de 14 ans, a subi des actes sexuels de la part de B., de treize ans son aîné; ils ont duré jusqu’en 1998. Mais seuls les actes commis entre 1990 et novembre 1992 ont été retenus car antérieurs à l’âge limite fixé par l’article 187 du Code pénal (CP) 1. Le Tribunal supérieur (Obergericht) du canton de Thurgovie a condamné B. à 12 mois de prison avec sursis pendant 3 ans, à un traitement psychothérapeutique ambulatoire et à une réparation morale de Fr. 6’000; il a reconnu B. comme responsable à 30 % du dommage subi par A., le montant de ce dommage devant encore être apprécié par un tribunal civil. Dans le cadre d’un recours en nullité au Tribunal fédéral (TF), A. a demandé que B. soit au contraire déclaré pleinement responsable du dommage et lui verse une réparation morale de Fr. 25’000.

L’affaire avait déjà fait l’objet d’un recours de droit administratif jugé le 22 décembre 2003. Il en était ressorti que la loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions (LAVI) ne pouvait être que partiellement appliquée, car les événements ont coïncidé avec son entrée en vigueur. Ainsi, les droits procéduraux de la victime au cours du procès pénal étaient applicables dans leur totalité, alors que les dispositions relatives au dédommagement financier ne l’étaient pas. A. ne pouvait pas attendre une réparation de l’Etat en application des art. 12 ss. LAVI, mais prétendre à un dédommagement basé sur les art. 41 ss. du Code des obligations (CO).

C’est dans ce cadre que s’est insérée la procédure décrite ici. Le Code des obligations prévoit qu’un dommage causé de manière illicite, de manière intentionnelle ou par négligence, donne droit à une réparation (art. 41 al. 1). Parallèlement, si la victime a subi une atteinte illicite grave à sa personnalité, elle a également droit à une «réparation morale» (art. 49 al. 1). Et si elle a consenti à la lésion ou si elle a contribué, d’une manière ou d’une autre, à créer ou accroître le dommage, les dommages-intérêts peuvent être diminués, voire supprimés (art. 44 al. 13) 2. Le TF s’est principalement penché sur la relation existant entre l’art.187 CP et le droit à la réparation d’un dommage selon les art. 41 ss. CO.


Acte illicite, consentement éventuel et capacité de discernement


L’illicéité est une condition du droit à la réparation. Les actes reprochés à B. sont des infractions pénales avérées, propres à entraver le développement sexuel d’un mineur de moins de 16 ans. Ce développement constitue un bien juridiquement protégé par le Code pénal, de manière absolue et en toutes circonstances. Il n’est pas nécessaire que l’enfant ait été réellement perturbé par les actes perpétrés sur lui et un éventuel consentement n’est d’aucune justification. De même, le droit à la réparation du préjudice subi existe indépendamment de la validité du consentement. «Ceci n’exclut cependant pas que le comportement de la victime soit pris en considération en tant que faute concomitante au sens de l’art. 44 al. 1 CO» (considérant 3 - notre traduction). Les juges ont alors examiné le rôle de la capacité de discernement de l’enfant. L’art. 187 CP ne pose aucune exigence à cet égard 3; il s’applique dès que l’état de fait répond aux conditions posées et si l’enfant a moins de 16 ans. En d’autres termes, l’application de l’art. 187 CP ne signifie pas que la victime était incapable de discernement (cons. 3).


Faute concomitante


Ainsi que nous l’avons dit plus haut, le devoir de réparation peut être limité ou même supprimé si certaines circonstances relatives à la victime ont eu une influence sur la survenance ou sur la gravité du dommage en question (art. 44 CO). C’est un principe général de la responsabilité en droit privé. Pour que la victime ait contribué au dommage subi, il n’est pas indispensable qu’elle ait, elle aussi, commis un acte illicite et il ne suffit pas qu’elle se nuise à elle-même. Il faut qu’on puisse lui reprocher un manque de précaution et de prudence, dans son propre intérêt et pour sa propre protection. Une telle attente requiert que la victime ait été capable de prévoir le risque d’une atteinte à sa personne et d’adapter son comportement (cons. 5.1).


Attitude du lésé


La faute concomitante est appréciée en fonction d’une échelle, l’attitude du lésé étant comparée au comportement hypothétique d’une personne moyennement prudente qui se trouverait dans une situation analogue. Si un enfant est en cause, on se réfère au degré de développement moyen en fonction de l’âge. Selon la jurisprudence du TF, les adolescents entre 14 et 16 ans peuvent être en grande partie (weitgehend) considérés comme des adultes dans des situations relativement simples (in Bezug auf einfachere Sachverhalte). Et les juges fédéraux de poursuivre leur analyse du cas concret:

«La faute concomitante et la capacité de discernement doivent être reconnues comme établies dans le cas d’espèce. Le plaignant, d’une intelligence située dans la moyenne et normalement développé vu son âge – bien que le rapport d’expertise psychiatrique le juge peu sûr de lui-même–, aurait dû reconnaître le danger potentiel que recèlent des contacts homosexuels avec le défendeur alors âgé de trente ans. Le plaignant aurait dû s’opposer à ces contacts, ce qui aurait été possible sans plus de difficultés; le défendeur n’exerçait en effet aucune contrainte physique envers ses victimes et n’insistait pas quand celles-ci refusaient la poursuite des contacts. L’instance inférieure a donc procédé de plein droit à une réduction de la réparation morale et des dommages-intérêts en raison de la faute concomitante du lésé. Mais le montant de la réduction contrevient clairement à la pratique du Tribunal fédéral. Une diminution de 70% suppose une faute concomitante grave du lésé. On ne saurait reprocher cela au plaignant. Si on compare avec la faute du défendeur qui a initié et recherché des contacts homosexuels, la faute concomitante du plaignant, qui n’a pas offert de résistance et ne s’est pas dérobé aux atteintes à son intégrité sexuelle, doit être qualifiée de moyennement grave à légère. Selon la pratique du Tribunal fédéral, une faute concomitante de ce type conduit à une réduction de un quart à un tiers [littérature]. Dans le cas présent, une diminution d’un quart apparaît comme appropriée. La réduction de 25% s’applique autant aux dommages-intérêts qu’à la réparation morale [jurisprudence]» (cons. 5.2 - notre traduction).

Finalement, le TF a décidé que le lésé recevrait non pas 30%, mais 75% d’une réparation morale de Fr. 20’000, soit Fr. 16’000, le reste du dédommagement étant à régler par la voie civile.


Une analogie trop hâtive


La démarche des juges fédéraux, approuvée à une majorité de 3 contre 2, paraît parfaite. Le Code pénal permet de protéger sans réserve toute victime d’actes sexuels pour autant qu’elle soit âgée de moins de 16 ans, qu’elle ait été ou non capable de discernement au moment des faits, qu’elle ait donné ou non des signes de consentement ou de contentement face au traitement qui lui était réservé. Cette garantie absolue tient au fait que le bien juridiquement protégé, à savoir le développement sexuel harmonieux des enfants, possède une valeur supérieure. Ainsi, l’auteur de tels actes sexuels est pleinement engagé face à ses forfaits et ne peut tirer argument d’aucune justification basée sur la personnalité ou l’attitude ambiguë de l’adolescent-e. L’arrivée de la majorité sexuelle met fin à ce régime spécial 4.

Dans un second temps, les juges utilisent les règles se rapportant aux «obligations résultant d’actes illicites» selon les art. 41 ss. CO. Le lien établi entre les deux régimes juridiques est subtil et ténu: l’art. 187 CP est totalement muet quant à la capacité de discernement de la victime, mais il n’interdit pas de se référer à la capacité de la victime au moment de faire les comptes. La faute concomitante devient ainsi le levier par lequel s’introduit le jugement de valeur sur l’attitude de l’enfant.


…et un très dangereux précédent


L’enfant est déchargé de sa responsabilité dans le contexte des actes sexuels, car considéré comme mineur sexuellement. Le caractère absolu de la volonté du législateur devrait logiquement s’étendre au-delà des limites du Code pénal, même si, dans certains cas, un auteur d’abus sexuels en arrive à mettre en cause le comportement de ses jeunes victimes. 5 Le TF a décidé de tempérer cette protection intégrale par la référence à un autre système de valeur, il fait intervenir le niveau de développement moyen de la tranche d’âge des 14-16 ans et la notion de situation relativement simple (ein einfacherer Sachverhalt). Les juges omettent complètement le contexte particulier et délicat de la sexualité adolescente et la subtile relation entre l’enfant et l’éducateur. Ils ne se réfèrent jamais aux études existant dans ce domaine, qui se situent bien en dehors du champ étroit du droit. Ils passent sous silence les possibles effets à très long terme des abus sexuels et en oublient même les fondements du droit suisse protégeant sans restriction les jeunes enfants: art. 19 et 39 de la Convention relative aux droits de l’enfant 6, art. 11 de la Constitution fédérale, normes du Code civil et en particulier les mesures de protection de l’enfant.

Leur analyse est susceptible d’avoir des conséquences ravageuses: certes, l’adolescent abusé sexuellement verra l’abuseur puni parce que, pénalement parlant, les actes commis sont totalement répréhensibles. Mais au moment de réparer un dommage peut-être incommensurable et combien coûteux en termes d’avenir gâché et de thérapies, on lui expliquera que, vu son âge et son degré de développement, il aurait pu et dû dire non et se défendre en bonne et due forme; mieux encore il aurait pu lui-même aider l’adulte déviant à rester dans le droit chemin…

(Arrêt de la Ie cour civile du Tribunal fédéral 4C.225/2003, 24.4.2004.)

1. «1. Celui qui aura commis un acte d’ordre sexuel sur un enfant de moins de 16 ans […]».

2. C’est le principe dit «de la faute concomitante».

3. A la différence de l’art. 191 CP qui permet de poursuivre spécifiquement les actes d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance (cette disposition n’était pas en cause dans le cas d’espèce).

4. Ceci est particulièrement bien illustré dans le cas présent puisque seuls les faits antérieurs au 16e anniversaire de la victime ont été pris en considération alors qu’ils ont continué jusqu’à son 22e anniversaire.

5. Dans le cas d’espèce, les actes sexuels n’étaient pas le résultat d’une perte de contrôle malheureuse et momentanée. Ils visaient plusieurs adolescents et étaient «organisés»: invitation au domicile privé de l’animateur de jeunesse, mensuration des organes génitaux des jeunes garçons et tenue de tableaux, masturbations et, pour certains, relations sexuelles complètes.

6. Ces dispositions, certainement de caractère programmatoire, stipulent que l’enfant, soit toute personne de moins de 18 ans, a le droit d’être protégé contre toute forme de violence y compris sexuelle pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de toute autre personne à laquelle il aura été confié (art. 19.1); il doit bénéficier de toutes les mesures appropriées pour faciliter sa réadaptation physique et psychique s’il est victime d’une forme ou l’autre de négligence, d’exploitation ou de sévices (art. 39).






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