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La délinquance des jeunes par l'autre bout de la lorgnette(1)

Par Olivier Guéniat, Docteur en police scientifique et criminologie, chef de la Police judiciaire du canton de Neuchâtel

  
[ Bulletin DEI, juin 2007 Vol 13 No 2 p.I ]


La délinquance des mineurs est-elle, oui ou non, en augmentation constante? Il est difficile d’affirmer que l'évolution générale du nombre de mineurs dénoncés par les polices cantonales ne corrobore pas cette hypothèse. Le regard rétrospectif peut porter sur dix ans ou sur vingt ans, la réponse est non. Et pourquoi est-ce difficile à dire? Parce que peu nombreux sont ceux qui acceptent de l'entendre. Ce constat dérange. Sur l'évolution de la criminalité des mineurs, il ne coïncide ni avec la perception subjective, ni avec la conviction de l'immense majorité des citoyens. Il existe donc un net décalage entre l'appréhension de la délinquance des jeunes dans sa réalité et le modèle édifié par la conscience populaire.

Ce phénomène n'est pas étonnant en soi. Il a déjà été largement étudié en criminologie dans les recherches sur le sentiment d'insécurité. Baptiste Viredaz, dans Le sentiment d'insécurité: devons-nous avoir peur? (2005), conclut que «(…) toujours plus de recherches empiriques montrent clairement que l'insécurité propre aux sociétés occidentales est celle d'un décalage toujours plus grand entre les nécessités de la vie courante et les moyens dont il faut disposer pour y arriver. L'insécurité est donc aussi sociale ou existentielle. Les gens ont peur parce que leurs conditions d'existence sont fragiles, parce que l'avenir apparaît toujours plus incertain et parce que la maîtrise de l'ensemble des risques qui nous menacent est devenue tout simplement impossible.»

Le regard porté sur la délinquance juvénile répond vraisemblablement aux mêmes règles que celles qui régissent le sentiment d'insécurité. Le décalage de perception est certainement dû, dans une large mesure, à l'effet de contexte ou l'effet Rosenthal (Rosenthal & Fode,1963), d'abord décrit par les milieux scientifiques, puis repris de manière plus large dans d’autres études. L’effet de contexte est une direction de l’esprit qui, à l'opposé de la culture du doute, tend à la certitude acquise ou à la conviction univoque. Tout se passe comme si le cerveau humain, avec son raisonnement et en l’absence d’une méthodologie adéquate, ne cherchait qu’à vérifier ce qu'il cherche. Le moindre indice ne parvient qu’à lui confirmer qu'il est bien dans la bonne direction, comme si la vérité se trouvait sur un seul chemin. Ce phénomène n'est pas anodin. On observe là une composante principale des mécanismes qui sont à l'origine de la plupart des erreurs judiciaires, notamment lorsque les enquêteurs ou les juges n'adoptent pas une méthodologie permettant d'élaborer des pistes de réflexion variées, de rester en permanence ouverts à plusieurs hypothèses, d'évoluer enfin dans un contexte d'évaluation et d'interprétation aussi neutre que possible, hors du champ de toute forme d'influences (Risinger et al., 2002 ; Saks et al,. 2003).

C’est précisément par un tel biais du raisonnement que la plupart des gens se forgent leur opinion ou leur conviction, se fondant sur un seul canal d'information : les médias. Chaque nouvel article, chaque nouvelle émission sur un événement impliquant des jeunes paraît confirmer pleinement l'hypothèse de l'intensification de la criminalité juvénile.

Pourtant, les chiffres, tant des statistiques de police que de justice, montrent bel et bien une diminution de la criminalité imputable aux mineurs. Les infractions au patrimoine, par exemple, ont décru de manière significative durant les vingt dernières années. Mais que ce constat ne me place pas dans la peau de celui qui, empreint d'angélisme, relativise la situation! Certes, de graves problèmes se posent, liés notamment à la violence, et ils émergent avec l'apparition de nouveaux enjeux de société, comme la consommation de pornographie, de cannabis et d'alcool, la gestion du temps libre des adolescents, le marché des biens de consommation ciblé sur les jeunes ou encore la dégradation de leur statut social. Si les problèmes sont ainsi identifiés et s’ils présentent un certain nombre de risques criminogènes, ma démarche se sera inscrite dans un effort général de prévention. Il faut commencer par informer les chercheurs, les politiciens, aussi bien que les parents et de manière plus générale les adultes. L'objectif est de susciter une prise de conscience et une vigilance face à ces enjeux.

La tâche est pourtant laborieuse et exige à tous points de vue une mise en perspective. L'adulte en effet a toujours porté un regard sévère à l'encontre des générations qui suivent, à commencer par Hésiode, poète grec qui disait déjà 720 ans avant J-C: «Je n'ai plus aucun espoir sur l'avenir de notre pays si la jeunesse d'aujourd'hui prend le commandement demain. Parce que cette jeunesse est insupportable, sans retenue, simplement terrible (…). Notre monde atteint un stade critique. Les enfants n'écoutent plus leurs parents. La fin du monde ne peut être loin.» De tout temps l’homme d’âge mûr a jeté sur sa descendance un regard estampé d'angoisse, de sinistrose et de paranoïa. Aujourd'hui il ne semble pas que nous échappions à cette règle.

En relisant Barnes et Teeters, dans New Horizons in Criminology, écrit en 1943, on se rappelle que la criminalité juvénile est l'objet de préoccupations sérieuses depuis longtemps déjà et il faut bien constater que le phénomène a diminué entre le début des années 1900 et le début des années 2000. Pensons seulement que les mineurs représentaient, vers 1940 aux Etats-Unis, près de 26% des auteurs de vols en général, 40% des auteurs de cambriolages et 50% des auteurs de vols de véhicules (Barnes et al.)! Pensons encore qu'une étude portant sur environ 1300 gangs juvéniles était menée en 1927 à Chicago par le Professeur Frederic M. Thrasher (The Gang). Les phénomènes que nous croyons aujourd’hui menaçants, et que nous présentons comme tels, résultent d'une distorsion de notre mémoire collective, une forme d'amnésie basée sur l'idéalisation du passé. Peut-être est-ce là un réflexe, une sorte de réponse face à un avenir qui nous paraît de plus en plus incertain, une réaction aux pressions sociales qui nous apparaissent de plus en plus pesantes ou le contre-coup d’une anxiété due à un ensemble de risques que nous ne contrôlons pas?

Quoiqu'il en soit, Barnes et Teeters avaient déjà avancé la thèse suivante : la délinquance des jeunes présente des différences caractérisées par rapport à celle des adultes. Ils avaient déjà identifié que la criminalité juvénile n'était pas imputable à un facteur plutôt qu'à un autre ou à une source universelle, mais bel et bien à une multitude de variables, à une grande variété d'influences. Dans The Young Delinquent, le professeur anglais Cyril Burt, en 1938, envisage même plus de 170 conditions distinctes susceptibles de contribuer à la mauvaise conduite des jeunes. Rapportons à une problématique d'une telle complexité le simplisme de l'exploitation politico-médiatique de certains faits divers, qui tend à nous faire croire que l'immigration suffirait à expliquer les comportements délictueux.

Il existe, en criminologie, une approche empreinte d'espoir qui considère la délinquance des jeunes sous un angle différent de celle des adultes: la théorie de la maturation. C'est vraisemblablement Alexandre Quételet, en 1833, qui lui a donné ses premières bases lorsqu'il constata que «le penchant au crime diminue avec l'âge du fait de l'affaiblissement de la vitalité physique et des passions». Par la suite Sheldon et Eleanor Glueck (Juvenile Delinquents Grown Up, New York, 1940), l'ont reprise et développée sous la forme de la "théorie de la maturité" dans laquelle ils postulent que la criminalité intrinsèque diminue naturellement après l'âge de 25 ans. Ils suggèrent qu'avec l'écoulement du temps les délinquants juvéniles grandissent hors ("grow out") de cette phase transitoire qu'ils consument physiologiquement ("burn out"). Ils concluent que l'âge ou le vieillissement est le seul facteur significatif du processus réformateur. Depuis lors, cette vision de la réforme par la maturité continue d'être la théorie du désistement, la plus influente en criminologie.

Pour poursuivre sur la voie de la métaphore, tout se passerait comme si l’adolescent portait sur son dos un réservoir de "fuel" criminogène dont le contenu s'amenuiserait à mesure que le temps passe et que l'adolescent gagne en maturité. Ce qui distinguerait un mineur d'un adulte, dans la gestion de ce fuel, serait sa capacité soudaine de larguer d'un seul coup ce carburant, comme s'il tirait sur une poignée ouvrant le fond de son réservoir. Cette capacité de largage serait alors éphémère et limitée à l'adolescence et ne serait stimulée à nouveau que si le jeune peut puiser de nouvelles ressources dans des passions. Le fait de tomber amoureux le détournerait définitivement de ses activités délictueuses, ou la découverte d'un talent artistique (chanter du rap, jouer d'un instrument de musique, danser le break-dance, etc), ou sportif (football, gym, ping-pong, etc.), ou toute autre activité susceptible de le valoriser et de contribuer à augmenter son estime de soi. A contrario, un délinquant adulte serait celui qui reste condamné à gérer son stock de fuel, voire même, à l'extrême, à constamment chercher à remplir son réservoir. Dès lors et en corollaire, la prison ne serait nullement la meilleure solution pour aider le mineur à gérer son stock de carburant et risque de l'augmenter encore. Toute autre solution visant à favoriser le largage serait alors préférable, et pourrait même être durable.

Quelle que soit la théorie qui, sous une forme ou une autre, nous rapproche de la compréhension de la délinquance juvénile, tout semble indiquer que ce type de criminalité doit être traité avec prudence, du fait qu'il supporte mal les amalgames avec la condition des adultes ou les jugements à l'emporte-pièce. Retenons surtout qu’il répond à des règles qui lui sont propres. En cela, le nouveau droit des mineurs, entré en vigueur le premier janvier 2007, concorde en partie avec les axes dégagés par la recherche et les grands courants théoriques, mais certainement pas avec les croyances populaires. Espérons que ces considérations contribueront à changer le point de vue qui est encore dominant sur cet enjeu sociétal majeur. Espérons aussi que les gouvernements saisiront mieux l'importance du soutien aux activités de la jeunesse et à l'intégration scolaire, inscrit dans des valeurs essentiellement positives, plutôt que d'investir sans cesse dans des valeurs négatives, comme les restrictions aux droits des migrants, l'exclusion, l'expulsion, ou encore les processus de retrait de la nationalité suisse dont il est question par les temps qui courent.
(1)Extrait du chapitre 16 de « La délinquance des jeunes, l'insécurité en question, »Olivier Guéniat, Presses polytechniques et universitaires romandes, collection Le savoir suisse, mai 2007


Références
• Olivier Guéniat, La délinquance des jeunes. L'insécurité en question, Presses polytechniques et universitaires romandes, collection Le savoir suisse, mai 2007
• Baptiste Viredaz, Le sentiment d'insécurité: devons-nous avoir peur?, Les Editions de l'Hèbe, 2005.
• R. Rosenthal. & K.L. Fode (1963). The effect of experimenter bias on the performance of the albino rat, Behavioral Science, 8:
• M.J. Saks, D.M. Risinger, R. Rosenthal, W.C. Thompson, Context effects in forensic science: a review and application of the science of science to crime laboratory practice in the United States, Science and Justice, 2003, Volume 43, No 2.
• D.M. Risinger, M.J. Saks, W.C. Thompson, R. Rosenthal, The Daubert/Kumbo implications of Observer Effects in Forensic Science: Hidden Problems of Expectation and Suggestions, California Law Review, 2002, volume 90, No 1.
• H. Barnes & N. Teeters, New Horizons in Criminology, 1943, Englewood cliffs: Prentice Hall.
• F. M. Thrasher, The Gang, 1927, University of Chicago.
• C. Burt, The Young Delinquent, 1938, University of London Press.
• A.Quételet, Recherches sur le penchant au crime aux différents âges, 1833, Ed Hayez, Belgique.
• S. Glueck and E., Glueck, 1940, Juvenile Delinquents Grown Up, New York: Commonwealth Fund.


Olivier Guéniat : La délinquance des jeunes L'insécurité en question.

Presses polytechniques et universitaires romandes, collection Le savoir suisse, mai 2007. 128 pages.
Sur la délinquance des jeunes, un directeur de police réunit ici quatre approches: des chiffres parfois inédits, les travaux de référence en criminologie, la nouvelle législation suisse, enfin de nombreux cas tirés de ses dossiers. L’auteur, fort de son expérience et sans craindre de prendre position, analyse l’évolution des délits de mineurs. Leur nombre baisse, ce qui surprend et contredit le battage médiatique. Mais certains comportements se font plus violents. Ce livre traite dans cette perspective l’action des bandes, les jeunes comme consommateurs, la haine raciale, le cannabis et particulièrement l’emprise de la télévision et d’Internet, créant une périlleuse réalité virtuelle, avec des dérives telles la pornographie ou la pédophilie. L’ensemble du problème de l’insécurité se trouve éclairé par des vérités parfois brutales mais contrastées. L’auteur cerne ici les dangers hors des paniques irrationnelles.


Pour commander le livre : Presses Polytechniques et Universitaires Romandes
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